Je vais vous raconter une histoire. C’est l’histoire de quelqu’un qui a une idée, qui y réfléchit, qui imagine des solutions pour la concrétiser en produit, qui réalise un minimum viable product (MVP), qui reçoit des retours sur ce MVP, qui étoffe le produit petit à petit et tout est bien qui finit bien (si seulement !)
Tout au long de ce parcours, la personne s’est fait une idée de son produit, une idée tantôt positive, tantôt négative, elle est passée par des montagnes russes émotionnelles et a finalement connu le même labyrinthe émotionnel que des milliers d’entrepreneurs avant elle.
Mais n’est-ce qu’une histoire d’émotions ? Non, c’est aussi une histoire de biais.
Les biais cognitifs : alliés pour un jour, ennemis pour toujours.
Les biais cognitifs sont des phénomènes mentaux qui appliquent une distorsion sur notre manière de voir la réalité. Ces biais ne sont pas toujours des entraves ; au contraire, ce sont des mécanismes que l’évolution humaine a eu tendance à sélectionner car ils étaient utiles en milieu naturel. Ils nous permettent bien souvent de prendre des décisions à la fois rapides et pas trop mauvaises.
Pour autant, ces biais peuvent être un sacré fardeau quand on entreprend. Quelques exemples ?
L’effet de dotation, qui consiste à attribuer plus de valeur à ce qui nous appartient, est peut-être le plus ambivalent de ces biais. Il peut être un allié de taille, car quand on est amoureux de son produit cela nous donne de l’énergie et nous permet de nous investir toujours plus ! Mais ce biais nous empêche aussi de détecter à temps ses défauts et de procéder à des virages nécessaires. Ce biais est proche d’un autre que l’on appelle « effet IKEA » ; n’est-il pas vain d’aimer davantage un meuble en contreplaqué parce qu’on a passé 40 minutes à le monter en transpirant ?
Le biais de l’unité, c’est ce qui nous pousse à finir ce qu’on a commencé, parce que c’est satisfaisant de terminer une tâche. Le problème, c’est que ce biais se fiche bien de savoir si cette tâche est utile ou non à votre business. C’est-à-dire qu’il vous poussera aussi bien à boucler dans les temps la présentation que vous préparez en vue d’une levée de fond… qu’à cliquer sur tous les mails que vous recevez, juste pour avoir la satisfaction de n’avoir aucun mail au statut « non lu ».
Le biais de statu quo, c’est l’ennemi du changement. C’est ce qui vous pousse à froncer les sourcils, quelques mois après le début de votre projet, quand quelqu’un s’avise de vous proposer une évolution de votre produit. Pour vous défendre, vous invoquerez la « cohérence de la vision », votre « engagement déterminé » dans une certaine direction, et peut-être d’autres choses encore qui vous paraîtront tout à fait légitimes. Prenez quand même le temps de les interroger.
Vous voyez l’idée ? Pour combattre les effets négatifs de ces biais et n’en conserver que le meilleur, il existe heureusement des recours de différents ordres. Dans cet article, nous nous concentrerons cependant sur une pratique en particulier : le dogfooding.
Le dogfooding, c’est pas pour les chiens !
« Eat your own dog food », ou EYODF si vous aimez les acronymes. Voilà un principe adopté par les plus grands (Apple, Microsoft, Facebook pour ne citer qu’eux). Cette pratique consiste à utiliser le produit que l’on crée. Vous vous direz peut-être, « Voilà juste un autre nom pour parler de bêta testing », mais ce n’est pas tout à fait la même chose. Le bêta testing consiste à… tester (pardon pour la tautologie, vous allez comprendre). Le dogfooding est une approche complètement différente : vous n’allez pas vérifier que votre produit fonctionne, vous allez l’utiliser… comme un utilisateur.
« Quoi, c’est tout ? »
C’est tout, et c’est beaucoup. Car combien ont déjà développé un produit sans daigner s’immerger dedans ? Le dogfooding va vous permettre, non plus de réfléchir à votre produit dans le vague, en voletant d’hypothèse en hypothèse, mais va vous mettre les mains dans le cambouis et va vous permettre de voir vraiment ce que votre produit a de génial (et de moisi).
Notamment, vous n’allez plus du tout voir les bugs de la même façon. Auparavant, face à un bug intermittent, vous vous disiez peut-être en pouffant, « C’est rien, c’est juste l’effet démo ! » ; désormais, vous allez pouvoir évaluer à quel point ce bug entrave l’utilisation de votre produit. Vous allez donc, dans cet exemple, passer du déni à la quantification.
Cela marche aussi dans le sens inverse : vous aviez peut-être tendance à surestimer les effets négatifs d’un bug, et vous vous rendrez compte à l’usage qu’il n’est finalement pas si ennuyeux.
Dans un prochain article, nous vous donnerons un exemple concret de dogfooding, mis en œuvre sur l’un de nos projets, sa démarche et ce qui a pu en aboutir.